31 mai 2002

CHEOLDUSAN

Le quartier de la ville où nous sommes s'appelle Yang-Hwa. Il y avait là un petit port fluvial pour le transport des voyageurs et des denrées agro-alimentaires et un grand bac permettait de traverser le fleuve. C'était un endroit très fréquenté et tous les Séoulites connaissaient la colline où nous sommes et l'appelaient Teul-Mo-Ri c'est-à-dire "celle qui relève la tête" et ils la comparaient à une sorte de Léviathan qui fait face aux eaux du fleuve Han, qui venaient lécher ses flancs.

Le quartier de la ville où nous sommes s'appelle Yang-Hwa. Il y avait là un petit port fluvial pour le transport des voyageurs et des denrées agro-alimentaires et un grand bac permettait de traverser le fleuve. C'était un endroit très fréquenté et tous les Séoulites connaissaient la colline où nous sommes et l'appelaient Teul-Mo-Ri c'est-à-dire "celle qui relève la tête" et ils la comparaient à une sorte de Léviathan qui fait face aux eaux du fleuve Han, qui venaient lécher ses flancs.


C'est sur cette colline qu'en 1866-1867 plusieurs milliers de chrétiens furent massacrés pour leur foi. Depuis, la colline s'appelle Cheoldusan (切 頭 山 ) , c'est-à-dire la "colline de la décapitation". Les têtes et les corps devaient tomber directement dans le fleuve, dont le courant les emportait vers la mer. Vingt ans plus tard (1886) lorsque la Corée s'est ouverte à l'étranger, le petit port de Yang-Hwa-Tjin est devenu l'un des cinq endroits où les étrangers pouvaient résider et c'est sans doute à partir de ce moment-là que les missionnaires et leurs ouailles ont commencé à venir en ces lieux pour se souvenir, prier et célébrer.

Mais ce n'est qu'en 1956 que l'Eglise fit l'acquisition de ce terrain chargé d'histoire. Pendant longtemps il n'y eut qu'une stèle rappelant les évènements. C'est en 1967 que l'église fut construite et qu'une paroisse y fut érigée. Elle était très fréquentée non seulement par les fidèles du quartier mais par des pèlerins venus de tout le pays, surtout au mois de septembre dédié aux Martyrs. Si bien que le curé du lieu eut rapidement des difficultés pour sa pastorale paroissiale par manque de locaux. Bien qu'ordinairement rien n'aille très vite dans l'Eglise, c'est en 1981 que cette paroisse fut transférée ailleurs et que l'église fut élevée au rang de Basilique et de lieu de pèlerinage national.

La crypte de. la basilique est comme le cœur de l'édifice, car elle contient les reliques d'un certain nombre de martyrs, canonisés par Jean-Paul Il en 1984, dont celles de nos 10 saints MEP. Cela fait penser un peu à la tombe du soldat inconnu, car ils représentent cette foule anonyme de gens qui ont "trempé leur robe dans le sang de l’Agneau" (Apocalypse 7,14) en ces lieux, d'autant plus qu'ils sont tous morts, comme Jésus-Christ, sans rien dire.

Au rez-de-chaussée du musée adjacent, qui d'ailleurs n'a rien d'extraordinaire, on trouve des livres de prières et de vieux catéchismes des premiers temps de l'Eglise en Corée. On y voit des tableaux peints, de divers personnages: Matheo Ricci, dont le livre sur l'existence de Dieu permit aux Coréens d'arriver à la foi; le Père Chu Mun-Mo, ce prêtre chinois venu comme premier missionnaire en Corée; quelques chrétiens influents qui ont marqué la première communauté chrétienne; le persécuteur Tae-Won-Gun, Régent et père du Roi Ko-jong; une lettre pastorale de Saint Siméon Berneux; le grand tableau fait à l'occasion de la béatification des 79 premiers martyrs en 1925; quelques instruments de torture et puis toutes sortes de petits souvenirs trouvés dans les tombes: croix, chapelets, bols, etc... et plusieurs documents officiels ordonnant des persécutions ainsi que plusieurs volumes contenant des témoignages recueillis en vue de la béatification des martyrs.

D'autre part, il existe aussi plusieurs originaux de lettres autographes de Saint Kim André et du Père Choi Thomas, second prêtre coréen. Ces documents ont été donnés par la Société MEP à l'Eglise de Corée. Plus récemment elle a aussi donné la Bulle de Grégoire XVI érigeant le Vicariat Apostolique de Corée, ainsi que la lettre des chrétiens coréens au pape lui demandant des missionnaires, et aussi la correspondance de Mgr. Bruguière avec ces chrétiens. Mais tout cela n'est pas exposé, car les conditions de conservation ne sont pas bonnes. Les documents sont enfermés dans un appareil spécial qui règle non seulement la température et l'humidité mais qui empêche aussi les minuscules petits vermisseaux de venir ronger le papier.

Au sous-sol du même musée, il y a une salle où on trouve divers instruments ayant servi de près ou de loin à la liturgie : vieux ornements, ciboires de diverses tailles, calice utilisé par le premier prêtre coréen d’après la persécution (ce Père Kang a été ordonné en 1896 après avoir été séminariste à Penang), canons d’autel, mitres et crosses, missels etc.…et un autel tellement surchargé qu’il serait difficile d’y célébrer la messe. Dans une autre salle du sous-sol du musée, on peut voir une douzaine de scènes de la vie chrétienne à l’époque des persécutions, avec une foule de personnages qui mesurent dans les 40 à 50 centimètres, par exemple le premier baptême célébré en Corée, trois classes de doctrine, l’arrestation de futurs martyrs en 1791, la célébration de la messe de Pâques par le Père Chu Mun-Ho, l’ordination du Père André Kim à Shang-Hai en 1845 et son exécution en Corée en 1846, etc. ..Tout cela est l’œuvre de Geneviève Ri Suhyon, née en 1952 et baptisée en 1982.

A l'extérieur, il y a un petit parc qui est dominé par la statue monumentale de St. André Kim. Ce Père Kim est le fils aîné des MEP : il n'est pas mort ici, mais il représente cette foule de chrétiens qui ont donné leur vie ici et il rappelle que le prêtre est d’abord un chrétien.

Derrière la statue d'André Kim, on trouve :

1. Le buste et une stèle à la mémoire de St. Jean-Baptiste Nam Chong-Sam, exécuté en 1866 à la petite porte de l'ouest mais qui est en rapport avec la persécution qui a sévi ici. Ce mandarin influent avait ses entrées au palais. A ce moment-là, la Russie menaçait d'envahir la Corée, et le mandarin Nam oeuvra pour que le Régent demande, par l'intervention de Mgr. Berneux, les bons offices de la France. Le Régent fut d'accord et rendez-vous fut même pris. Nosseigneurs Berneux et Daveluy attendaient le jour dit, mais dans l'intervalle, la Russie se retira et le danger disparut. Le Régent fut repris par son entourage, dont le clan au pouvoir était très anti-catholique, et il retourna sa veste. Il décida de faire arrêter tous les missionnaires. Ce qui fut fait : d'où la mort de 2 évêques et de 9 missionnaires. 3 d'entre eux seulement échappèrent au massacre.

2. Une stèle à la mémoire de Oda Julia, petite jeune fille coréenne, dont on ne connaît ni le nom coréen ni le lieu d'origine, mais qui est vénérée par certains Japonais. Capturée par les troupes japonaises qui, emmenées par des Shogun ou des daimyo chrétiens tels que Konishi Yukinaga (prince de Sukami ou Arima), Haranobu (prince de Arima) ont envahi la Corée en 1592, et conduite au Japon par So Yoshidoshi (prince de Tsushima) et gendre du sus-nommé Konishi Yukinaga. So Yoshidoshi confie la prisonnière à son épouse Marie qui la conduit peu à peu au baptême que lui confère le Jésuite espagnol Morejon. Baptisée Julia. la Coréenne devient servante de Tokugawa Yeyasu qui l'apprécie beaucoup et souhaite la marier à l'un ou l'autre ‘ prince' ou ‘baron'. Alors que la religion chrétienne commence à être persécutée au Japon, Julia se garde bien de cacher sa foi ; au contraire elle la manifeste de plus en plus et décide de rester vierge. Alors, Tokugawa fait déporter Julia à Ooshima, face à la presqu'île d'lzu, en avril 1612. Trente jours plus tard Julia est déportée à Niishima et quinze jours plus tard à Goozushima. Les Japonais du lieu ont, plus tard, fait de Oda Julia un `génie protecteur de l’île'.

3. Une stèle à la mémoire de la famille de Pierre Pak Sun-Jip. Pierre Pak est le fils, né en 1830, d'un Paul Pak qui a subi le martyre en ce lieu en 1868, en compagnie de son frère Pierre, de sa soeur Madeleine et du mari de cette dernière, d'un fils et d'une belle-fille, au total 12 personnes de sa famille. Ce Paul Pak s'était occupé de donner une sépulture convenable aux trois premiers martyrs MEP de Corée (Imbert, Maubant, Chastan) et en avait indiqué le lieu précis à son fils Pierre. Ce dernier s'occupera à son tour de recueillir les restes des 4 MEP (Berneux, de Bretenières, Beaulieu, Dorie) qui ont été martyrisés en 1866 à Sai-Nam-Theo. De par sa profession de soldat du roi, il avait été témoin oculaire de leur exécution et... attendait son heure. Il dut attendre 6 mois avant de pouvoir tirer les cadavres du sable dans lequel ils avaient été ensevelis et de les inhumer dans un lieu plus décent. Une fois la liberté de religion acquise, Pierre Pak a fait reconnaître par les autorités religieuses de l'époque les restes des trois martyrs MEP inhumés par son père et les restes des 4 martyrs MEP inhumés par lui-même. Etant allé vivre à Inchon, Pierre Pak y est décédé en 1911.

Un autre souvenir à attacher à ce lieu est la visite d'exploration que fit, en octobre 1866 à l'embarcadère l'escadre de l'Amiral Roze, accompagné, bien sûr, de son pilote coréen mais aussi d'un des trois rescapés, le P. Ridel, qui allait devenir le sixième Vicaire apostolique de Corée. Il était venu demander des comptes au Roi pour le massacre des missionnaires et, de l'île de Kang-Hwa à l'embouchure du fleuve Han, il avait envoyé une lettre dans ce sens. En attendant la réponse, il avait décidé de remonter le fleuve jusque devant Seoul. Le Régent apprenant que les navires français étaient venus jusque devant la Capitale, vit "rouge" et ordonna le massacre de tous les chrétiens sans autre forme de procès. Cela voulait être la réponse du gouvernement coréen à l'amiral français.